...ou comment trépasser de manière idiote.
Depuis maintenant un certain nombre d'années, je maîtrise une campagne « ouverte » dont le terrain de jeu n'est autre que les Wilderlands (de JUDGES GUILD). Depuis le moment où j'ai démarré cela (ici), le groupe a beaucoup évolué. D'une part, il s'est agrandi puisqu'aujourd'hui je ne compte pas moins de 20 joueurs ; certes, ils ne sont jamais tous présents en même temps, mais la moyenne se situe autour de 12 à 14 personnages à chaque session. D'autre part, compte tenu du style O.S.R., il y a un « Turn Over » régulier du fait des décès.
Si certaines de ces morts peuvent être le fruit du hasard ou de la malchance aux dés, d'autres, au contraire, sont le résultat d'une mauvaise évaluation des risques encourus et d'une propension à vouloir « briller », se mettre en avant.
Dans ma campagne, les joueurs ne gèrent pas leurs points de vie et je ne leur donne pas plus les dégâts avec précision. Pour chaque coup reçu, j'évoque l'importance de la blessure (au rapport du maximum du personnage) et donne une évaluation approximative de l'état général. Ce qui peut donner, à peu près : « Tu viens de subir une blessure relativement légère [par exemple, ici 3 H.P.] mais désormais tu es dans un état grave [là, le seuil de la moitié des points de vie serait dépassé] ». Cette méconnaissance précise de l'état de santé du personnage pousse les joueurs à être prudents, tout comme ils pourraient l'être dans la réalité, sans calcul tactique. J'ai pu remarquer que cette manière de gérer les points de vie induisait une certaine fébrilité lors des combats et cela rajoute à l'aspect tendu des escarmouches.
Lors d'une session, les aventuriers ont pénétré dans un petit complexe souterrain ; non par une voie « normale », car la porte d'accès était scellée par du mortier et, pour des raisons religieuses, certains membres du groupe refusaient de troubler les lieux de repos des défunts, mais plutôt par un boyau créé par des animaux fouisseurs. Le prétexte invoqué par la majorité était qu'il ne s'agissait pas là d'une profanation car cet accès n'était pas le fruit de la Compagnie [je précise que ce n'était aucunement une tombe, mais çà, personne ne le savait ; donc côté « Roleplay », les religieux jouaient leur partition]. Etant à la recherche d'individus, le groupe a prétexté d'explorer le site au cas où ceux-ci auraient cherché refuge ici bas. Dans la description faite du boyau, il avait été indiqué que le sol était meuble, que des pierres pouvaient rouler facilement et que la déclivité était importante... De fait, il pouvait y avoir un risque de chute non négligeable. Le message a bien été reçu par l'ensemble des aventuriers puisqu'il fût décidé de s'encorder pour la descente ; le plus habile en escalade fermant la marche. Lors du cheminement, l'un des personnages est tombé, laissant échapper la corde qu'il tenait et dégringolant jusqu'en bas [pour 2d6 de dommages]. Tout le monde était donc conscient du fait de la dangerosité de cette pente.
Le groupe procède à l'exploration du lieu, fait quelques rencontres au cours desquelles les aventuriers encaissent des blessures relativement sérieuses et décide de sortir faute d'avoir mis la main sur les quidams qu'il cherchait. Tout le monde se retrouve donc dans la petite salle dans laquelle le fameux boyau débouche et permet, par la même occasion, le retour à l'air libre... Un bilan de l'état de santé général est fait (car je m'attendais à un drame !) et vient le moment où je pose la sacro-sainte question : « Que faites-vous ? »
Il n'y avait aucune pression. La nuit allait tomber, la bande pouvait se reposer tranquillement ici, prendre du repos et profiter des soins dispensés par le Clerc pour démarrer une nouvelle journée, sans se stresser. Mais cela aurait été bien trop facile ! Comme dans tout film d'horreur qui se respecte, c'est à cet instant précis que certains commencent à faire n'importe quoi et, plus particulièrement, des actions irréfléchies et lourdes de conséquences.
Tandis que je m'attendais à ce que la Compagnie bivouaque ici même (des joueurs m'ayant demander l'heure qu'il pouvait être, compte tenu du fait que la lumière du jour aperçue à travers le boyau faiblissait), un des membres m'annonce qu'il va donc procéder à l'escalade pour sortir et assurer le reste du groupe. [C'est un des personnages les plus à l'aise en escalade, le plus fort et un de ceux à qui il restait suffisamment de points de vie pour tenter la grimpette sans prendre trop de risques.] Dans l'absolu, pourquoi pas ?!? Mais là où le bât blesse, c'est qu'un autre joueur s'est emporté. En effet, voulant impérativement être de ceux qui allaient « sortir » le groupe, il s'est lancé dans la montée de cette pente quelque peu ardue et dangereuse. Sur le plan technique, le personnage pouvait aisément venir à bout de cette grimpette ; cela ne fait aucun doute. Mais il était blessé (il ne lui restait que 8 points de vie) et si une chute survenait, surtout dans le dernier tiers [là où il est possible de subir 2d6 de dommages], le risque devenait important. Et bien entendu, ce qui devait arriver est arrivé... Fin de l'exercice, jet de pourcentage excessif, chute, dégâts, tête heurtant un caillou à l'arrête affûtée et... MORT.
Le pire dans tout ceci, c'est que la Compagnie avait glané un butin non négligeable et que ce personnage avait un niveau fraîchement acquis [niveau 4, de la session précédente...]. Alors qu'a-t-il bien pu passer dans la tête de ce joueur ? Etait-ce parce que le timing faisait coïncider ce moment avec la fin de la session et que la fatigue se faisait sentir ? Pourquoi ne pas avoir juste temporisé, histoire de réfléchir à froid ? Peut-être même en concluant la partie en signalant juste un repos dans cette fameuse salle et que nous reprendrions la fois suivante ?
Les aspects multifactoriels qui ont abouti à cette situation dramatique sont complexes et s'entremêlent les uns aux autres. Quoi qu'il en soit, dans un style de jeu O.S.R. - où la létalité est de mise -, il faut toujours prendre un peu de temps pour la réflexion. Bien sûr, d'aucuns pourraient arguer qu'il s'agit là surtout d'un manque de chance ; mais je ne le crois pas. La décision qui a été prise, d'escalader ce boyau, reste un choix sans calcul du risque encouru. Un résultat, obtenu en lançant 2d6, pouvant atteindre un score de 8 et plus [je rappelle que le personnage n'avait plus que 8 points de vie] est important ; ce qui signifie une mort certaine dans un style de jeu O.S.R.
Le risque s'élevait tout de même à un peu plus de 41 %. Tout le monde n'est pas nécessairement à l'aise avec les maths (et moi le premier !), mais en prenant quelques minutes pour réfléchir, la catastrophe aurait pu être évitée. On me dira que le joueur n'avait pas connaissance de son total de H.P., mais c'est faux car j'avais fait un « Top points de vie » lorsque la Compagnie était arrivée dans cette petite salle, juste avant de prendre une décision ; et j'avais annoncé à ce joueur qu'il était à peu près à la moitié (8 points sur un maximum de 14).
Pour ma part, s'abstenir c'est comme fuir (ici) ; en O.S.R., il faut savoir se ménager, se poser pour réfléchir et estimer les risques. La précipitation a conduit, dans ce cas-là, à la fin d'un personnage emblématique de la Compagnie ; il était un pan de l'histoire du groupe. Il portait sur lui les cicatrices des combats passés (et pas seulement au sens figuré, car il avait perdu un oeil lors d'une confrontation !) et faisait partie de ceux qui marquaient le passage de la bande dans les villages, tavernes et autres auberges... En O.S.R., la létalité n'est pas une figure de style ; c'est une réalité. Un personnage tombe à 0 H.P. et s'en est fini de lui. Ainsi qu'a pu me le dire un autre D.M. : « Le danger est réel ! » Les joueurs doivent comprendre que, contrairement aux éditions actuelles, l'héroïsme ne s'acquiert pas uniquement dans les faits d'armes ou des exploits dignes du cinéma (et encore moins sur une feuille de Background !)... Le véritable héros est celui qui colporte sa propre légende, qui forge sa propre réputation et qui est en vie pour confronter ses dires aux allégations que les P.N.J. pourraient lui opposer. Il est vivant, porte tel anneau ou bien telle épée et raconte ses exploits, comment il a obtenu tout ceci, où il a trouvé ces objets, quels monstres il a su déjouer ou occire. Mais pour réaliser cela, il faut prendre son temps, observer et analyser... ; ne pas se précipiter.
Hardi Compagnons... !