vendredi 26 mars 2021

Payer pour jouer

The Great Rock 'n' Role-Playing Game Swindle !

Une partie de B&B (Bandits & Benêts) ?


   Je reste constamment estomaqué par les absurdités commises par notre espèce. Dans notre société de consommation, il n'est pas rare de relever des comportements pour le moins choquants et aberrants. La notion de gratuité pousse parfois à des actes décontenançant ; qui n'a jamais vu quelqu'un s'empiffrer simplement parce qu'il a payé un forfait et peut manger à satiété, presque jusqu'à la nausée ? Dans notre microcosme ludique, il est un autre genre de réflexe. Celui de vouloir payer quelque chose qui, à la base, est totalement gratuit !

Du mouton au joueur de Panurge ?

   Au fil de mes lectures virtuelles - j'entends sur internet - j'ai récemment découvert l'ampleur d'un phénomène relativement connu, mais dont personne n'a, à ma connaissance, encore véritablement chiffré et examiné l'impact. C'est un billet, sur un blog, qui a attiré mon attention et m'a amené à réfléchir sur un fait curieux. L'auteur du texte expliquait que sur la plateforme de jeu en ligne, ROLL20, il y avait de plus en plus d'annonces de parties avec des D.M. rémunérés. Selon son estimation, il y aurait entre 25 et 35 % des propositions faites par des D.M. qui offriraient leurs services contre monnaie sonnante et trébuchante. Evidemment, d'un point de vue « scientifique », cette évaluation manque de rigueur car l'écart de 10 % reste tout de même important. Néanmoins, si l'on part sur la base la plus faible, cela représenterait un quart des notifications ; ce qui reste marquant. Quant à la somme réclamée, elle s'échelonne entre 10 et 20 $ pour une session, laquelle fait - en moyenne - environ trois à quatre heures. Mais il faut aussi garder à l'esprit que cette participation financière est à appliquer à chaque joueur s'inscrivant - là encore, on peut estimer entre quatre et cinq joueurs. Le total devient tout suite plus impressionnant : 40/50 à 80/100 $ la session ! Je ne me suis pas amusé à estimer le coût d'une campagne comprenant plusieurs sessions car je crois que j'irais noyer mon chagrin dans un pack de six ! Ceci étant le sommet de l'iceberg...

   Quid de la qualité de jeu ? Toujours selon l'auteur de ce billet, ces meneurs de jeu s'auto-proclament les « Legendary D.M.'s ». Heureusement que j'étais assis en lisant ceci car j'ai frôlé la syncope ! Quelle prétention, quelle outrecuidance, quelle audace ! Comment peut-on s'affubler d'une telle étiquette ? Pour être honnête, j'hésite entre la crise de fou rire et l'idée d'aller chercher trois mètres de corde... Il y a de quoi être dépité. Mais le délire ne s'arrête pas là, comme vous pouvez vous en douter ; que nenni ! Les individus - dont l'ego n'a pas de limite - avouent, qu'en fait, ils ne jouent à Dungeons & Dragons que depuis deux à trois ans. C'est leur bêtise qui est légendaire pour le coup ! Et ce n'est pas tout, parce que pour que ce genre d'annonce soit postée, il faut qu'il y ait du répondant ; ce qui sous entend qu'il y a donc des joueurs prêts à payer ces soit disant « Legendary D.M.'s » pour vivre des heures de jeu palpitantes... C'est là que l'on touche le fond de nos sociétés de consommation. Des énergumènes prétendant jouer à un jeu permettant de libérer l'imagination vont valider un fait et rémunérer un rôle qui, à la base, est gratuit ! Sommes-nous tombés si bas ? Pourtant, l'idée avait déjà amené à une réflexion il y a près de quatre ans, jour pour jour. En lisant parallèlement les deux billets, on remarque que cette singularité a d'ailleurs pris une fâcheuse tendance à se développer. Pourquoi ? Comment se fait-il que des joueurs puissent en arriver à ce stade, à vouloir être payés et/ou à payer ?

Sans commentaire...

Une justification

   Alors bien entendu, il est tout à fait possible d'argumenter pour justifier cette démarche de réclamer de l'argent ou bien d'en donner. Essayons de voir les deux points de vue, celui du D.M. et celui du joueur.

   Un des arguments avancés pour dédouaner les D.M. cupides est celui de l'investissement dans la préparation d'une session de jeu. Certes, maîtriser demande un engagement important, que ce soit pour faire jouer un module commercial ou bien une production personnelle. Le D.M. passe beaucoup de temps à lire et relire, à comprendre tous les tenants et les aboutissants de l'aventure, à appréhender toutes les actions des joueurs (et cela, tous les D.M. savent que c'est impossible !), à connaître les créatures mises en jeu et leurs interactions avec le groupe etc. etc. La préparation d'une session est laborieuse, mais palpitante. Mais faut-il, pour autant, demander un dédommagement pécuniaire pour ce labeur ? Certes, le rôle de D.M. peut paraître rebutant et déroutant - c'est probablement pour cela qu'il peut être difficile pour certains groupes de trouver quelqu'un qui veuille bien endosser cette fonction -, mais lorsque la table se constitue, c'est la principale affaire à régler. Garde-t-on toujours le même D.M., met-on en place une rotation ? Ce sont des questions qui se discutent avant de démarrer quoi que ce soit. Par le fait, le meneur de jeu sait parfaitement à quoi s'en tenir et où il va. Par ailleurs, il est fréquent, autour des tables régulières, d'avoir des personnes qui apportent des victuailles, que ce soit à manger ou bien à boire ; et cela est souvent bien suffisant comme forme de « rémunération ». Une autre éventualité est un achat groupé pour un module qui, ensuite, est offert à la personne qui veut bien endosser la responsabilité de la maîtrise. J'ai connu ce principe étant adolescent et ça fonctionne assez bien, du moins tant que les ressources sont limitées. Certes, il existe bien des tables où une inscription payante est attendue, mais cela se produit dans le cadre des conventions où les organisateurs ont pris soin d'inviter une personnalité du jeu. Dans ce cas-là, il y a des frais à éponger : transport, nourriture et hébergement. Néanmoins, ce sont des cas bien spécifiques et il ne peut y avoir de doutes quant aux attentes. Mais que faire si personne ne veut assumer le rôle de D.M. ? Et c'est bien-là, peut-être, l'origine du système des D.M. rémunérés. Nous pouvons donc avoir des tables de joueurs - uniquement - qui se retrouvent sans personne pour maîtriser ; la seule solution, à leurs yeux, est semble-t-il celle du défraiement. 

Les limites

   Ces dernières risquent d'être atteintes très vite. En effet, percevoir des émoluments de la part des autres joueurs va rapidement faire peser un poids supplémentaire sur les épaules du D.M. Cet accord tacite est implicite en ce sens que les payeurs sont en droit de pouvoir exiger quelque chose (« le client est roi ») ; celui qui prend le rôle du meneur de jeu ne peut nier ce fait et se trouve tenu d'offrir une qualité de prestation. C'est d'autant plus vrai lorsque la maîtrise se fait face à des joueurs inconnus, qui ne prendrons pas de pincettes pour vous signaler leurs attentes et faire poindre des critiques plus ou moins acerbes. Mais, et cela devient plus grave, ce service après vente entrouvre la porte à tous les mécontents et autres dénigreurs « professionnels » qui vont, dès lors, justifier une demande remboursement. Les possibilités sont infinies : application ou non de telle ou telle règle, puissance des créatures rencontrées, butin, objets magiques, points d'expérience, descriptions insuffisantes etc. etc. Les souhaits de chacun, en terme de sensation perçue autour de la table, peuvent aussi être une cause de dilemme. Comment réagir face à un joueur qui vous dira qu'il s'estime avoir été laissé de côté ? Comment apprécier ce genre de reproche ? Ce qui est envisageable lorsque vous commandez un steak dans un restaurant et que la cuisson ne vous convient pas, devient ici un piège dont il est beaucoup plus difficile de se sortir. Et l'insatisfaction peut rapidement dégénérer et aboutir à des épisodes pénibles d'échanges entre celui qui vend ses services et les clients. Encore une fois, notre monde (et mode !) de consommation laisse de moins en moins de place à l'erreur et nous pousse à avoir des exigences relevant de la perfection. Et une des dernières limites - mais pas des moindre ! - consiste à savoir comment estimer à sa juste reconnaissance la prestation d'un D.M. ; quel prix demander ? Là, nous revenons à nos « Legendary D.M.'s » qui peuvent perdre le sens des valeurs et, au contraire, se laisser dévorer par un ego sans limite !

Le temps des comptes

   Vous l'aurez compris, j'abhorre l'idée de payer pour se retrouver entre individus pour jouer. Une session de jeu, à mes yeux, c'est un plaisir partagé, c'est s'entourer d'amis avec qui on échange, on discute, on blague, on rit et on joue. Le Jeu de Rôle a une fonction sociale qui permet de s'évader en groupe ; ce n'est pas un commerce avilissant et rabaissant cette fonction du rêve à une étape payante des distractions de soirées ou de week-ends (je ne parle pas, bien entendu, des éléments constitutifs tels que les manuels et autres accessoires). Au bout du compte, je trouve cela très triste de savoir que des individus en sont réduits à accepter de payer un tiers pour animer une session de jeu. Quelle pauvreté ! Quant aux rats qui cherchent à se faire du beurre sur tout et tout le monde, qu'ils n'approchent pas ma table !

Le « sans contact » fonctionne ?

   N'oubliez pas... A l'aventure Compagnons !


 


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