dimanche 26 septembre 2021

Archéologie ludique

 Découverte, restoration et présentation de...

...The Lost Dungeons of Tonisborg

   J'avais fait un bref papier sur cette pièce cruciale de l'histoire de notre hobby (ici) et j'ai eu le très grand plaisir de recevoir enfin mon exemplaire dudit « donjon » il y a quelques semaines (fin août exactement)... ! L'ouvrage, initialement annoncé pour la fin du printemps dernier, a connu quelques déboires liés à des soucis chez l'imprimeur et c'est donc avec un léger décalage (je préfère utiliser ce terme plutôt que celui de « retard » car cela est dû à des problèmes techniques et non humains) que cet opus a fini par être déposé dans ma boîte aux lettres. Je m'empresse donc de vous livrer mes premières impressions.

L'objet

   Il faut bien reconnaître que c'est un fort bel ouvrage qui ne dépareillera pas dans toute ludothèque qui se respecte. L'opus - aux dimensions standard des livres T.S.R. de la grande époque - est habillé d'une couverture rigide mauve à l'intérieur de laquelle se cachent les 156 pages constituant le corpus du livre. L'illustration est en dorure et reste, somme toute, très sobre (pour ne pas dire « oldschool ») ; elle dépeint un dragon somnolant.

Un très beau livre...

Le dos est tout aussi dépouillé ; il ne comprend que le titre avec la mention de l'auteur (Greg SVENSON). Mais, hormis la marque d'un éditeur, il n'est point besoin d'alourdir cette partie de l'opus.

Un dos marqué à l'or !!!

Il est à noter que le livre a été expédié avec le plus grand soin, très bien protégé afin d'éviter des coups malencontreux qui auraient eu raison de la beauté de l'objet. Par ailleurs, pour accompagner l'opus, était joint un petit mot de remerciement reprenant l'illustration de couverture.

Les remerciements...

La mise en page utilisée est celle des classiques des débuts d'AD&D avec une taille de police assez petite, ce qui en fait un ouvrage dense. L'ensemble est agrémenté d'illustrations dans le plus pur style « oldschool », même si quelques unes sont récentes (mais il y en a qui datent de 1974 !).

Une mise en page que les vieux grognards sauront apprécier...

Les flèches ne semblent pas l'arrêter !

Voilà pour l'aperçu physique du livre. Même si nous aurions pu attendre une illustration de couverture avec un peu de couleur, il ne fait aucun doute que cet ouvrage - trônant à côté des classiques T.S.R. - saura attirer le regard des visiteurs qui scruteront votre ludothèque. Voyons maintenant le contenu...

Bien plus qu'un simple « donjon »...

   A la lecture de la table des matières, il apparaît clairement que nous sommes en présence d'un document dépassant le stade du « simple » module. L'ouvrage se décompose en huit parties, d'importance et de taille différentes. La considération que l'on peut porter à telle ou telle partie viendra du fait que nous soyons un vétéran ou pas (si l'on exclut la curiosité propre à chacun) ; mais je vais tâcher de développer ci-après.

   Le tout premier texte dresse le décor et installe l'ambiance quant à ce livre. En effet, il s'agit d'un manifeste expliquant le fondement même de notre hobby, à savoir un jeu social basé sur la communication, l'échange, l'ouverture d'esprit, la tolérance et le respect. Cela peut paraître surprenant comme introduction, mais au regard du prisme actuel des médias permettant de raconter tout et son contraire, allumant des feux devenant incontrôlables et sur lesquels certains se complaisent à souffler, cette mise au point prend toute sa valeur. Ensuite, un court texte explique ce qu'est Tonisborg. Un message adressé aux D.M. et indiquant que ce « donjon » est bel et bien vivant, que ce sont ces mêmes D.M. qui doivent lui insuffler la vie, qu'il n'attend qu'eux pour être modifié, transformé, arrangé pour devenir une réalité dans l'esprit des joueurs, une véritable entité. La lecture de ces deux pages est un vrai plaisir et elles constituent, à elles deux, la synthèse de notre passion que peut être le Jeu de Rôle.

   La première partie de cet ouvrage est une leçon d'Histoire du Jeu de Rôle ainsi que le récit épique de la survie de ce fameux « donjon » qu'est Tonisborg. En effet, il s'agit d'une synthèse rédigée et (très) raccourcie de la genèse du Jeu de Rôle (pour plus de détails, je vous renvoie ici) - et je ne parle pas de Dungeons & Dragons. Puis, suit la saga du « donjon » en lui-même... A la lecture de cette véritable aventure, on appréhende aisément la chance que nous avons de pouvoir consulter l'ouvrage ici présenté. L'exposé rocambolesque de ce qui a constitué la « vie » de Tonisborg est incroyable. Pour accompagner cette histoire, les auteurs/compilateurs ont eu l'idée géniale d'éditer des facsimilés des plans originaux (dix niveaux tout de même !) ainsi que deux pages de notes complétant la présentation. Cela est d'autant plus instructif que les D.M. néophytes pourront balayer allègrement les craintes naissantes lorsqu'on se lance dans la maîtrise d'un module ou d'une campagne et que l'on souhaite y apporter notre touche personnelle.

Le niveau 1 originel...

Le même niveau, mais retravaillé pour les besoins de l'ouvrage.

Cette première partie s'étire sur une quinzaine de pages - plans compris - et permet de se mettre dans l'ambiance (nous ne sommes pas très loin de Stranger Things...!). La deuxième partie quant à elle, joliment intitulée « Donner vie à un vieux "donjon" », est, à mon sens, l'élément le plus intéressant et le plus important du livre (d'ailleurs, l'ensemble se compose d'environ 45 pages, soit presque le tiers de l'opus !). Elle constitue la véritable clef de voûte de cette publication. Dans ce texte sont donnés des explications sur la manière de jouer à l'époque ainsi que des conseils destinés aux joueurs et aux D.M. Tout est passé en revue : l'interaction entre tous les participants de la partie, les plans, le danger, les règles, les dés, les pièges, etc. Il ne s'agit pas d'énoncer un dogme, mais plutôt d'expliquer comment les pratiquants de l'époque voyaient les choses et ce qu'ils recherchaient. C'est truffé d'anecdotes, de citations de personnes ayant fait partie de cette création (avec les sources, si l'on veut vérifier !) et de petits résumés synthétisant le récit. Le chapitre traitant de la peur générée par le D.M., afin de donner davantage d'immersion aux joueurs, est des plus truculents ; par ailleurs, les conseils et idées dispensés ici sont de Robert J. KUNTZ en personne ! Cette partie mérite et justifie, à elle seule, l'acquisition de l'ouvrage. Toute personne qui n'a pas connu cette époque, et qui souhaite se documenter sur ce qu'est le « oldschool » et l'O.S.R. en général, se doit de lire ce texte ; cela évitera bien des déconvenues, des erreurs d'interprétation et autres inepties. Il s'agit là d'un véritable témoignage historique.

   La troisième partie se compose de l'objet de curiosité qu'est le « donjon » en lui-même. Nous avons, sur un peu plus de quarante pages, les plans retravaill és et le descriptif des différentes salles. Bien que l'ensemble puisse paraître dépouillé, il faut impérativement se référer au manifeste d'introduction du livre pour comprendre de quoi il relève. On saisit bien pourquoi plusieurs D.M. pouvaient se partager un même site (ici Tonisborg). Il s'agit presque d'un « bac à sable » et l'on sent bien que les D.M. peuvent s'approprier le repaire à leur guise. Même si cela peut paraître bizarre, il suffit de se référer à la deuxième partie de l'opus et plus spécifiquement au chapitre traitant de l'écoulement du temps et du repeuplement des salles (je vous ai bien dit que ce « donjon » était vivant !). Par ailleurs, à la lumière de la nomenclature de l'édifice, nous somme saisis par la létalité du « donjon » et l'on comprend tout à fait l'expression T.P.K. (Total Party Kill) si les joueurs manquent d'expérience et/ou de prudence. Quant à la construction en elle-même, c'est véritablement un délice pour tout D.M. et un casse-tête pour les joueurs. Le style « oldschool » prend ici tout son sens. La complexité architecturale (couloirs obliques, accessibilité difficile pour certains niveaux, multiples escaliers, etc.) rend la tache délicate pour les aventuriers, surtout si l'on adopte la règle destinée aux cartographes qui veut que lorsque la carte ou le personnage qui cartographie disparaît, alors le D.M. retire ladite carte des mains des joueurs (une légende raconte qu'un personnage de Greg SVENSON n'est jamais ressorti d'un « donjon » à cause de cela). Autant dire que sans chance, c'est la mort assurée...

Un combat s'engage...

   S'agissant des parties qui suivent, elles comprennent tout ce qu'il faut pour jouer (règles, bestiaire - dans lequel on trouve un Baledraug, pour éviter les soucis de droits -, listes de sortilèges, etc.). Les auteurs ont voulu offrir un ouvrage retraçant un pan de l'Histoire du Jeu de Rôle, mais ils ont aussi souhaité proposer des règles clef en main pour les novices afin que ces derniers puissent s'essayer immédiatement au jeu. Il s'agit d'une excellente initiative et cela a le mérite de pouvoir tester aussitôt les conseils prodigués dans la deuxième partie. Les règles sont épurées et ne manqueront pas de rappeler le Basic Set de Dungeons & Dragons (boîte de 1981). Grâce aux exemples fournis dans la partie dédiée aux explications, les joueurs (et le D.M.) ne devraient pas avoir de mal à démarrer une partie. Même les tables permettant de générer des trésors sont données ; les nouveaux aventuriers pourront tester leur courage et s'extraire du « donjon » auréolés de gloire et couverts d'or et d'objets magiques !

Il est grand temps d'administrer des soins... !

Un kit d'initiation historique ?

   Effectivement, cet ouvrage se situe à la croisée de deux chemins : celui du patrimoine historique ludique et celui de l'apprentissage. C'est un ouvrage didactique ainsi qu'un véritable témoignage faisant de l'opus un réel pont intergénérationnel. Malheureusement, on ne peut que déplorer le caractère intimiste de la diffusion du livre car le premier tirage était réservé aux personnes ayant soutenu le projet avec Kickstarter ainsi qu'à quelques Happy Few (dont j'ai eu la chance de faire partie) qui ont eu accès à un achat limité... D'un autre côté, on peut comprendre la démarche qui vise à s'assurer un minimum de rentabilité ; si la critique est bonne et que les demandes affluent, alors nous pouvons espérer un second tirage (pour le moins). Pour l'heure, il semble très difficile (voire impossible) de se procurer un exemplaire du livre ; il va donc falloir faire preuve de patience. En revanche, certaines boutiques ont spéculé sur cet opus avec des prix atteignant 350 Euros ; une véritable honte ! Je ne peux donc que vous encourager à scruter la toile et à franchir le pas (à condition que le prix reste raisonnable) si vous souhaitez détenir une pièce historique dans votre ludothèque.

Une illustration pleine page...

   En attendant, hardis Compagnons et en route pour... l'aventure !

Un guerrier...

mardi 24 août 2021

La Mort rampante...

 Carcass Crawler...

...le fanzine dédié à Old-School Essentials

   Le système de jeu O.S.E. (pour Old-School Essentials) est un véritable phénomène dans la sphère des jeux de rôle O.S.R. Depuis son lancement initial sur la plateforme participative Kickstarter en 2019, il n'a cessé de connaître une croissance dans l'intérêt que les joueurs O.S.R. peuvent lui porter. Il y a eu les ajouts de règles permettant de reproduire celles de AD&D et même une traduction francophone du jeu de base (toujours sur une base de financement participatif). Afin d'assurer une pérennité au jeu, NECROTIC GNOME a entrepris de publier un fanzine spécialement dédié à son produit afin d'y apporter des éléments supplémentaires et facultatifs, chers aux « vieux » joueurs. Ce sont les fameuses « House Rules ». Cette démarche permet d'entretenir la flamme et, surtout, elle autorise pour chaque joueur et autre D.M. de diversifier le jeu afin de lui donner une saveur plus personnelle. Ainsi, l'esprit « oldschool » est véritablement maintenu avec un coût limité, à l'inverse des éditions « modernes » dont les éditeurs offrent une pléthore de manuels à des prix souvent exorbitant.

Premier jet, le numéro inaugural

   L'ébauche de ce que doit devenir ce fanzine a été proposée aux aficionados ayant soutenu la deuxième campagne de NECROTIC GNOME sur Kickstarter - celle qui a permis de financer l'ensemble de la version Advanced Fantasy. Il s'agit donc d'un objet dont le devenir sera celui de « collector » puisque seules les personnes ayant apporté leur soutien sont détentrices d'un exemplaire.

   La présentation est professionnelle. Une couverture comme pour un livre broché, tout en couleur, avec une très belle illustration à thème égyptien vous mettant immédiatement dans l'ambiance... A l'intérieur, nous avons trente-deux pages avec de chouettes dessins (même s'il y a deux doublons) et dont la mise en page correspond aux productions de NECROTIC GNOME. Certains illustrateurs sont déjà très connus de la sphère O.S.R. (Thomas DENMARK, William McAUSLAND et Stefan POAG pour ne citer que ceux qui me viennent à l'esprit) et leurs travaux embellissent l'opus, dans une atmosphère décidément « oldschool ». J'avoue qu'à la réception de ce fanzine, j'ai été subjugué et l'idée d'attendre le premier numéro « officiel » m'a traversé l'esprit. Mais voyons par le menu ce que nous trouvons sur les pages de ce livret...

La première de couverture... !

Un programme intéressant, mais limité...

   Si le premier contact est excellent, il nous faut désormais gratter un peu le vernis pour vérifier ce qu'il y a dessous.

   Un petit mot de bienvenue, rédigé par Gavin NORMAN, nous accueille chaleureusement et nous explique à quoi nous pouvons nous attendre dans ce fanzine. Nouvelles classes de personnage, nouvelles races, nouveaux sorts, nouveaux objets magiques, nouveaux monstres, règles optionnelles et étendues, informations sur les nouveautés, petites aventures etc. etc. ; voilà ce qui devrait remplir les pages de cette publication. Il est évident que nous avons là tous les poncifs du genre. Mais rien n'est indiqué sur les proportions des différentes rubriques (deux classes/races, deux pages d'objets, quatre pages de sorts, quatre monstres par exemple ?). Certes, on peut espérer que la variété sera au rendez-vous, mais vous allez comprendre mon interrogation...

   Une note est aussi donnée concernant la compatibilité du contenu avec les règles existantes, que ce soit - bien évidemment - O.S.E., mais aussi B/X et tous les systèmes autres (Labyrinth Lord, par exemple). Ce fanzine n'est donc pas uniquement destiné au jeu de NECROTIC GNOME ; mais cela, les vieux briscards que nous sommes s'en fichent car nous sommes les rois de l'adaptation !

   Puis, vient le menu à proprement parler. Huit nouvelles classes de personnage, trois races (qui font redondance avec la partie précédente, puisqu'elles adaptent certaines des classes au système Advanced Fantasy) et une liste étendue d'équipement avec les notices et explications propres à chaque objet.

   S'agissant des classes, nous avons un Arcane Bard, un Beast Master, un Changeling (changeur de forme/dopplegänger), un Chaos Knight (antithèse du paladin), un Mage (magicien version Gandalf de J.R.R. TOLKIEN), un Mutoid (classe/créature mutante), un Mycelian (créature fongique) et un Warden (le bien connu protecteur). Je ne m'étalerai pas sur les races (Changeling, Mutoid et Mycelian) car elles permettent juste l'utilisation de celles-ci avec Advanced Fantasy, sans rien apporter de novateur ni probant. Bien que l'on puisse ajouter ce que l'on souhaite à nos tables, je trouve qu'il y a pas mal de rebut... Je m'explique. Le barde, déjà vu et probablement adapté par nos soins ; le chevalier du chaos, pas besoin d'avoir fait trop de recherches pour réussir la transformation du paladin ; le mage, idem ; quant au protecteur, ce n'est qu'une pâle version du ranger... Nous avons donc déjà cinquante pour cent des classes qui n'offrent pas grand chose de neuf à nos parties. Sur les classes qui restent, seules le Beast Master, le Changeling et le Mutoid obtiennent mes faveurs. La dernière, le Mycelian, me semble être une classe par trop difficile à exploiter au sein d'une équipe d'aventuriers. Alors pourquoi pas ?!? Un joueur qui veut s'essayer à jouer un coureur des bois sans s'embêter avec la maîtrise des règles de magie pourra trouver son bonheur avec le Warden, certes... Tout comme celui qui cherchera à tâtonner la magie avec le Mage... Chaque D.M. trouvera une utilité éventuelle à ces classes (monde particulier, initiation pour des nouveaux joueurs etc.), mais il me semble que cela fait pas mal de gaspillage.

   En revanche, la liste de l'équipement qui est fournie en fin d'opus - avec les notices et autres explications - est fort intéressante. Ces pages sont à fournir à chaque joueur qui peut trouver là des idées pour échafauder des plans ou des astuces.


Un bilan en demi-teinte

   Si je reste intéressé par le projet (étant avide de lecture !), il n'empêche que je suis quelque peu déçu par ce qui a été offert dans ce numéro inaugural. Certes, il s'agissait de mettre l'eau à la bouche (ce qui est réussi pour mon cas !) tout en gardant de la matière plus attrayante pour les numéros suivants ; mais tout de même, je m'attendais à quelque chose de plus probant. Etant d'un optimisme naturel, je me suis donc fendu de quelques pièces pour commander le premier numéro officiel qui vient de sortir... ! Je croise les doigts pour que le contenu soit plus équilibré, tout en sachant qu'il n'est pas possible de satisfaire tout le monde. Une partie de cet opus inaugural trouvera peut-être sa place au sein de ma campagne, mais l'ensemble risque de trôner sur une étagère ne profitant que peu de la brise produite par l'air tandis que je feuilletterai l'objet. Je garde espoir quant aux numéros qui vont venir, sans savoir quelle sera la régularité de publication (car cela joue aussi beaucoup sur la qualité !). Comme disent les anglo-saxons : Wait & See... !


Pour l'heure, hardis Compagnons et... à l'aventure !





mercredi 30 juin 2021

Dice & Crayons

 Un hommage à John E. HOLMES...

...et au Basic Set de D&D   

   Pour revenir à un sujet insignifiant et léger, je voudrais vous présenter une de mes dernières acquisitions de collectionneur. Je peux assez facilement craquer pour un set de dés qui, à mes yeux, m'évoque quelque chose ou bien m'inspire. Mais nous sommes d'accord, il s'agit uniquement de détenir un objet qui ne vaut que pour nous et qui n'est, bien entendu, pas indispensable ; lorsque vous avez un set de dés, cela est largement suffisant pour jouer.

   Quoi qu'il en soit, mes déambulations virtuelles m'ont conduit à rechercher, parfois, des dés du tout début de l'histoire de Dungeons & Dragons. Rapidement, je me suis rendu compte que les prix étaient exorbitants et avais donc décidé de me fier à ma chance pour le cas où, un jour, je croiserai quelqu'un se débarrassant de ces petits objets pour pas grand chose... Mais, ce faisant, j'ai fini par tomber sur un individu qui vends des sets, non pas d'époque mais, qui sont de fidèles répliques (ici). Le problème majeur, c'est qu'il fait cela à échelle humaine, ne produisant que selon son bon vouloir et son temps disponible. Cette philosophie, louable s'il en est, restreint grandement la possibilité d'acquérir un set étant donné qu'ils sont fabriqués au compte-goutte. Là encore, j'ai cessé d'attendre et ne vais traîner sur sa page de vente que de temps à autres.

Jusqu'au jour où...

   Au détour d'une lecture de différentes pages de blogs dédiés à l'O.S.R., je découvre qu'une compagnie propose un set produit à une échelle industrielle. Cette société est déjà connue pour fabriquer et vendre des dés métalliques ; il n'y a donc pas à craindre quant à la qualité des objets ou de la disponibilité.

   Il est possible d'acheter un set dans un blister ou bien avec une boîte. La différence (hormis le prix, il va de soi !) se situe au niveau des couleurs. Les dés vendus sous boîte sont avec les couleurs conforment à celles des débuts de Dungeons & Dragons ; les autres ne le sont pas.

Le coffret, dont l'illustration est inspirée du dessin original, en hommage à John E. HOLMES.

Evidemment, j'ai opté pour la solution se rapprochant le plus des dés canoniaux. Néanmoins, ces dés ne sont pas aussi « fidèles » que ceux proposés à la page évoquée plus haut, car les arêtes ne sont pas toutes aussi marquées. Mais, pour ma part, je suis satisfait du résultat...

   La boîte offre un visuel clairement Oldschool, reprenant l'illustration originale et sobrement intitulée Dice & Crayons avec le rappel nostalgique au bas, Holmage Set, précisant la dédicace. Au dos de ce coffret, on peut voir le contenu ainsi que la mention d'une production limitée à 1 000 exemplaires (sur l'étiquette jaune). Personnellement, je reste dubitatif quant à cette note car l'acheteur ne peut savoir s'il possède bien l'un des 1 000 sets suggérés... A mon sens, cela reste un argument de vente pour « forcer » la prise de décision d'achat ou non. Bref.

Le dos du coffret Dice & Crayons.

   Le contenu se compose des dés, de deux crayons gras destinés à remplir les chiffres en creux sur chacune des faces, de deux feuilles de personnages (Basic) - l'une « véritablement » Oldschool et l'autre plus « moderne » mais tout aussi dépouillée -, d'une feuille comprenant quelques plans de donjons pour démarrer vos premières aventures ainsi que d'une présentation de la dessinatrice (brésilienne) qui a réalisé l'illustration. Que les choses soient claires, il n'y a aucune règles... ; juste des dés et quelques accessoires pour débuter. En fait, ce coffret trouverai parfaitement sa place à l'intérieur du Basic Set de HOLMES.

Le matériel contenu dans ce petit coffret Holmage !


Un petit aperçu des plans extrêmement réductifs...

   J'entends déjà les critiques des aficionados qui vont hurler au scandale et dire « oui mais... ». Certes, ces dés ne sont pas des répliques au sens propre du terme de ceux fabriqués à l'époque. Vous remarquerez aussi qu'il y a des des d10 ; lesquels n'étaient pas présents à l'origine. Mais qu'à cela ne tienne, ils ont tout de même un petit côté rétro que je ne trouve pas désagréable, bien au contraire. Et puis ils restent abordables contrairement aux prix pratiqués pour les dés d'origine. Alors voilà, cette boîte me satisfait pleinement et lorsque j'utilise ces dés, j'ai des picotements dans les mains, comme si je pouvais revenir à mon adolescence bien que n'ayant jamais eu de dés originaux entre les mains (pour information, mon Basic Set de HOLMES contient les fameux « chits »)... Mais l'idée est là ! Si vous aussi vous voulez tenter l'expérience, rendez-vous .


   Pour l'heure, ...à l'aventure Compagnons !

lundi 31 mai 2021

The Complete Works of Zorin Greystar

La comète que peu de gens ont vue...

   Comme très souvent, fouinant ici et là sur la toile, je suis tombé - par le plus grand des hasards (ici) - sur un article présentant un petit ouvrage dont je n'avais jamais entendu parler et qui, semble-t-il, a fini par passer aux oubliettes... Collectionneur curieux invétéré, je me suis donc empressé de chercher un exemplaire de ce bouquin. Ayant été suffisamment chanceux, je peux - et vais - donc vous présenter ce livre.

Un travail inachevé

   L'opus est au format A5 et comprend un petit peu plus de 120 pages. Publié en 1984, à compte d'auteur, il est le fruit d'une écriture à deux mains. Les rédacteurs étaient, à l'époque, étudiants en mathématiques et en sciences de l'environnement et vouaient une véritable passion pour le jeu de rôle et Dungeons & Dragons en particulier (plus spécifiquement AD&D). Le texte n'est ni plus ni moins qu'une compilation de House Rules comme beaucoup de « vieux » joueurs ont pu en créer et son titre est évocateur, laissant entendre un travail nourri et approfondi. D'ailleurs, l'ouvrage est sous-titré « Book One », autorisant de présager de volumes faisant suite à ces premières réflexions. Malheureusement, il n'en est rien. Il n'existe que cet opus ; manque d'intérêt, passion reportée sur autre chose, cours de la vie ayant oeuvré... Nul ne sait.

Une couverture très « oldschool », mais appréciable !

De la découverte

   Le livre se compose d'une introduction, d'un avant-propos, de cinq chapitres et d'une petite conclusion. Le texte préliminaire servant de présentation et expliquant les raisons de l'écriture du bouquin frappe par sa prétention, caractéristique de la jeunesse qui pense toujours détenir la Vérité et réussir à révolutionner le monde d'un coup d'un seul... Les mots utilisés sont forts : règles inadéquates, incongruités, fautes. Par ailleurs, bien que reconnaissant l'importance des règles déjà écrites (ici par T.S.R.), les auteurs se targuent de les compléter voire même d'y apporter des changements révolutionnaires ! Tout ceci sous le couvert de la liberté de modelage des outils de jeu (les règles), comme le préconisaient Dave ARNESON, Gary GYGAX ou bien Tom MOLDVAY (pour ne citer qu'eux). Bien entendu, ces ajouts et autres modifications sont la base même du jeu Oldschool ; il n'est alors pas surprenant de trouver des joueurs qui publient donc leurs propres House Rules. Une autre singularité de l'ouvrage, c'est que les auteurs font parler leurs propres personnages, nous laissant imaginer que tout ceci ne provient pas d'un réel ludique mais, au contraire, bien palpable. L'exercice est intéressant et facilite quelque peu la lecture d'un document pour le moins axé sur les sciences.

   Le premier chapitre traite de la composition et du fonctionnement du multivers. C'est intéressant car ni le Players' Handbook ni le D.M.G. ne fournissaient d'explications détaillées pour épauler correctement les D.M. de l'époque (nous sommes alors en 1984 !). Le deuxième, aborde la question de la magie. il propose un système de points de mana, chose que l'on avait déjà pu voir dans les pages du magazine britannique White Dwarf. L'idée en soi est intéressante, mais on voit alors apparaître des formules mathématiques (souvenez-vous que les auteurs sont des mathématiciens) qui alourdissent la création des personnages et le déroulement du jeu en lui-même. Pour être honnête, je n'ai absolument pas de don pour les mathématiques et dès que je vois intervenir cette science dans le jeu, cela a un effet répulsif pour ma personne (avez-vous déjà lu les règles de Légendes celtiques ?!?). Immédiatement, j'ai tendance à me braquer ; certes, nous approchons d'une certaine précision dans un domaine imaginaire (nous parlons de magie, là !), mais étant issu du terreau du wargame, je revois les luttes intestines entre jeu et simulation... Ce chapitre débute à la page 13 et, déjà, je suis figé et dépité. Puis, c'est au tour de l'expérience d'être passée à la moulinette. Je ne reviendrai pas sur les débats sans fin de la méthode d'attribution des points d'expérience dans les règles (Basic et AD&D), ni même sur ce qu'ont pu en faire les millions de joueurs à travers le monde. Ici, une autre idée pertinente est avancée. Pour les auteurs, il faut accorder les XP au fur et à mesure du déroulement de la session de jeu... Je vous laisse imaginer la tête déconfite des D.M. qui passent leur temps à faire des calculs ! Bien évidemment, pour faire bonne mesure, vous faites ces comptes avec des formules adaptées, avec des ajustements propres à chaque action et chaque classe de personnage. Pour le chapitre suivant, c'est le combat qui est décortiqué. Je ne vais pas m'étendre, mais nous sommes véritablement dans le simulationnisme et cela n'a aucun intérêt. Certains joueurs d'aujourd'hui se plaignent parfois des combats qui durent bien trop longtemps (cf. édition 3.5, par exemple) et bien là, vous pouvez faire un wargame en parallèle (les connaisseurs et amateurs saisiront la plaisanterie). Toujours à l'aide de formules, vous travaillez le round par segment, vous regardez où vos coups portent, vous déterminez les dégâts, vous gérez les dommages causés à votre armure etc. etc. Là-dessus, vous saupoudrez un ou deux coups ou échecs critiques et l'ensemble de la table file pour faire un petit set-up sur Fire in the East ! Il y a bien des idées que j'avais moi-même injectées autour de ma table, mais pas de manière aussi poussée. Nous avons là une sauce composée de Rolemaster, Chivalry & Sorcery et Légendes celtiques ! Enfin, le cinquième et dernier chapitre offre des nouveaux sortilèges ou des versions retravaillées de certains sorts existant. Pour ma part, c'est probablement la partie que j'ai le plus appréciée ; bien qu'il puisse y avoir à redire sur l'utilité de quelques sortilèges (ou alors leur subtilité m'a échappé).

La complétude de la simulation

   Ce livre est un véritable document historique faisant partie du patrimoine génétique du jeu de rôle et rien qu'en cela, il mérite une lecture. Il retrace l'évolution du mode de pensée des joueurs d'alors, ce qui nous conduira immanquablement vers les éditions successives de Dungeons & Dragons. Mais au-delà du regard sage que l'on peut y porter, il apparaît clairement que cet opus alourdissait les règles existantes. Il me semble que nous trouvons-là les raisons mêmes qui ont empêché la publication de la suite... Personnellement, j'ai pioché quelques idées çà et là, mais l'ensemble de la révision du système rédigé par Gary GYGAX est exagérée. Si vous avez l'occasion de tomber sur un exemplaire de ce livre, à condition que le prix n'en soit pas exorbitant, laissez-vous tenter et lisez.


Et en attendant ce jour... A l'aventure Compagnons !

dimanche 9 mai 2021

Old School & Cool

 Un fanzine O.S.R.

   Durant le premier confinement (printemps 2020), les activités sur la plateforme participative Kickstarter continuèrent, les plus téméraires d'entre nous poursuivant leurs soutiens en défiant les aléas. Le projet Zine Quest - qui en était à sa deuxième édition - battait son plein et, au bout du compte, les risques pris pour soutenir les différentes entreprises étaient bien moindre que pour d'autres accessoires beaucoup plus onéreux. C'est dans ce contexte quelque peu chaotique qu'un éditeur états-unien (ici) basé à Portland, OR venait de voir aboutir la publication du premier numéro de son fanzine dédié à l'O.S.R. Voyons un peu de quoi il s'agit...

Une caisse à outils

   Comme tout bon fanzine qui se revendique de l'A.D.N. de la vieille école, cette publication d'une quarantaine de pages est un véritable fourre-tout dans lequel a été jeté pêle-mêle des classes de personnages, des sortilèges, quelques tables pour nommer rapidement une auberge en fonction de ses attributions principales, d'autres tables pour donner corps à des P.N.J. urbains, un petit module, des menus pour des tavernes et même de la poésie naine ! Et pour faire bonne figure et intéresser aussi les joueurs pratiquant la dernière édition de Dungeons & Dragons, nous avons droit à quelques compétences adaptables à vos jeux O.S.R.

   L'état d'esprit est clairement inscrit dans les années '80 : humour, mélange des genres (Fantasy et Sci-Fi), une touche de gonzo et un côté un peu Rock'n'Roll. Par exemple, dans les classes de personnages, nous avons le Beerserker, Mon Frère (en français dans le texte), un linguiste (nous sommes d'accord, d'une utilité douteuse et très probablement rare !) ou encore le Space Dwarf ! Autre exemple, le module mélange un thème de science-fiction avec de la Dark Fantasy... Bien qu'étant devenu totalement allergique à tout ce qui dépasse la première édition (AD&D), je dois avouer que les compétences proposées pour les personnages sont judicieusement sélectionnées et qu'elles peuvent apporter un petit peu de piment au jeu que vous pratiquez. Pour ma part, j'en resterai là, mais j'avoue que leur lecture m'a été agréable. Les tables destinées à générer « spontanément » des P.N.J. sont bien pensées et à l'aide d'un d8 et de cinq d10, vous avez le « squelette » d'un individu ; il restera alors au D.M. d'improviser en fonction des grands traits donnés. C'est assez simple et rapide, d'autant plus que chaque table colle à un type de quartier.

   Pour finir, la couverture ne laisse aucun doute quant au style attendu : un Barbare décimant des Gobelins, on ne peut être plus héroïque... !

Heroic Fantasy !

Le temps de l'Apocalypse

   Pour son second volume, un an plus tard, KNIGHT OWL PUBLISHING a décidé de fixer un thème à cet opus. Cette fois, le contenu sent le sable chaud, l'huile de vidange, la sueur et la bière ! La page de garde prévient que tout ce qui se trouve dans les pages de ce fanzine est utilisable avec Old-School Essentials ; nous restons donc dans de l'O.S.R. L'avant-propos laisse entendre que cette publication pourrait trouver sa vitesse de croisière et que nous aurions donc - peut-être ? - la chance d'avoir d'autres numéros dans l'avenir.

   Pour reprendre l'image de la caisse à outils - bien à propos dans ce cas ! -, l'éditeur conserve le même état d'esprit que pour son numéro 1. Tout d'abord, quelques classes de personnages ; le choix est plus restreint, mais non dénué d'intérêt. Outre les mutants et les cyborgs, nous avons un Motörhead (je vous avais prévenus que cela allait être parfumé !) et un Simian (renvoyant directement à La planète des singes). Ensuite, une série d'articles/tables abordant et traitant de tout ce qui touche aux véhicules (types, équipement, armes, combat, pilotages et manoeuvres). Une approche des pouvoirs et combats psioniques suit, puis c'est un module et, enfin, une table permettant de savoir ce que vos personnages peuvent trouver comme vestiges de la civilisation passée : Gameboy, une bouteille de soda (Coca ou Pepsi), un emballage Burger King, un routeur Wi-Fi et même une « boîte rouge » de D&D ! Il y a une centaine d'objets recensés sur cette table. Evidemment, cela va certainement inspirer tout D.M. et dans les faits, c'est inépuisable. Cet opus, à lui seul, peut générer des idées d'aventures pour vos personnages médiévaux et apporter une petite touche d'exotisme, sans avoir à digérer des règles complexes puisqu'elles sont directement issues du système O.S.E. Bien qu'étant plus attaché à un monde médiéval, je vais très certainement utiliser tout ou partie des éléments contenus dans cette publication et agrémenter ma campagne d'une touche futuriste.

Deuxième opus...

   Avec à chaque fois une quarantaine de pages, KNIGHT OWL PUBLISHING a réussi un chouette pari. Old School & Cool est clairement le genre de fanzine qui remplit parfaitement son rôle, apporter des House Rules à foison pour que chacun puisse s'y nourrir et, éventuellement, les utiliser. Même si on ne les met pas en pratique, leur lecture seule permet de faire germer de nouvelles idées et de s'aérer l'esprit ! Je ne peux donc que vous conseiller de vous procurer l'un ou l'autre de ces numéros, voire même les deux !

Et je ne peux résister à la tentation de conclure avec ces quelques paroles de Motörhead !

If you like to gamble, I tell you I'm your man
You win some, lose some, all the same to me
The pleasure is to play, makes no difference what you say
I don't share your greed, the only card I need is the Ace of Spades
The Ace of Spades

Playing for the high one, dancing with the devil
Going with the flow, it's all a game to me


Pour l'heure... En route pour l'aventure Compagnons !

vendredi 30 avril 2021

Le jeu (de rôle) comme outil d'apprentissage


De l'Homo Ludens à...

Ergastulis & Dracones


   Je voue une véritable passion pour le jeu, sous quelle que forme que ce soit (sauf ceux qui impliquent de l'argent). Il faut dire que c'est un élément du patrimoine génétique de la famille ; tout le monde joue et à tout. Adolescent, en pleine construction et avec la découverte des wargames et de Dungeons & Dragons, je me suis « spécialisé » dans ces jeux par goût mais aussi parce qu'ils me permettaient de me sentir « différent ». Puis, la vie (estudiantine, professionnelle, parentale) m'a amené à réfléchir autrement sur la fonction du jeu ; ne pas/plus y voir uniquement un divertissement, mais plutôt quelque chose d'essentiel dans le développement humain, que ce soit en terme de sociabilisation, d'apprentissage de la règle (celle qui régit une société tout comme un jeu), de construction de soi etc. Durant toutes ces années (cela fait maintenant un peu plus de quarante ans !) de pratique du jeu de rôle, j'ai pu me poser comme simple observateur de l'exercice ou bien comme artisan de sa réalisation (joueur ou D.M.). Aujourd'hui, avec un peu de recul, je peux essayer de faire un petit bilan de mes réflexions.

« Les jeux d'enfants », peinture de Brueghel l'Ancien, 1560.

La peur de l'inconnu...


   Avant de pouvoir élaborer une pensée cohérente sur le sujet, il me faut faire un petit rappel de faits néfastes pour la communauté rôliste. A l'origine, le jeu de rôle s'est trouvé noyé dans son ferment ludique, les wargamers (ici). Le temps nécessaire pour sa maturité ne lui a pas permis, immédiatement, d'apparaître sur les radars sociaux et médiatiques grand public. Cette relative confidentialité lui a accordé une période de consolidation dans son développement et ce n'est donc qu'en 1974 que la première publication officielle et publique verra le jour. Mais vu les tirages (quelques milliers) et l'aspect de nouveauté, Dungeons & Dragons a encore bénéficié d'un répit avant de connaître une gloire méritée entre 1976 et 1982. Cet accroissement rapide - que ce soit en nombre de pratiquants et en termes pécuniaires - va attirer indéniablement le regard de la société sur ce « nouveau » passe-temps. Le déclencheur sera l'affaire James Dallas EGBERT III, ce jeune étudiant, amateur de jeu de rôle, qui disparaîtra dans les sous-sols de la Michigan State University en 1979. Dès lors, et jusqu'au milieu des années '80, une partie de la société états-unienne n'aura de cesse de s'attaquer à Dungeons & Dragons, T.S.R. et à l'image que peu renvoyer le jeu de rôle aux yeux de cet échantillon de population d'une manière générale (je vous recommande chaudement la lecture de Dangerous Games de Joseph P. LAYCOCK, publié en 2015). Ce début de la décennie 1980 accouchera du B.A.D.D., de Dark Dungeons et du film Mazes and Monsters entre autres... Ce conglomérat bien-pensant, hypocrite et imprégné de bigoterie, voyant une partie de ses enfants lui échapper en pratiquant un jeu d'un genre nouveau (donc inconnu) et craignant de perdre le contrôle de sa progéniture, va alors entamer cette croisade stérile.

Un exemple d'attaque contre Dungeons & Dragons par l'intermédiaire des médias.

   Nous sommes au début des années '80 et pour nous, Français, cela nous reste relativement inconnu. Il est vrai que l'accès aux médias états-uniens n'est pas aussi aisé qu'aujourd'hui. Mais la bêtise ne reconnaissant pas les frontières, nous ne serons pas épargnés et nous aurons notre propre déferlement de stupidités à l'encontre du jeu de rôle, avec une dizaine d'année de décalage. Cela débutera en 1990 avec l'affaire de Carpentras et se poursuivra jusqu'en 1994-1995 avec quelques émissions de télévision destinées au grand public. Le jeu de rôle aura donc eu des débuts un peu houleux ; non pas qu'il soit complètement accepté de nos jours (il y a bien encore, çà et là, quelques actions à son encontre, principalement encore aux U.S.A.), mais en tout cas, il affiche une forte tendance à la popularité, voire même une reconnaissance dans la Cool Attitude. A tel point que le 8 juillet 2020, la radio du service public France Inter lui accorde presque une heure d'émission (ici) ! Et je ne parle même pas des chaînes sur internet qui diffusent des parties...

Les fondements


   Mais pourquoi ai-je évoqué ces faits ? Quel rapport cela peut-il avoir avec l'intitulé de ce billet ? Eh bien justement, c'est parce que le jeu de rôle semble beaucoup plus admis dans nos sociétés qu'il est, aujourd'hui, l'objet d'étude et de réflexion d'universitaires et de professionnels. Deux auteurs en particulier vont être à l'origine de ma réflexion. Le premier, je l'ai « croisé » durant mes études. Il s'agit de Johan HUIZINGA, historien néerlandais spécialisé dans l'histoire culturelle et auteur du fameux Homo ludens. Essai sur la fonction sociale du jeu (publié en 1938). Il sera un des pionniers de cette réflexion sociale sur l'importance du jeu dans la construction de l'Homme, allant jusqu'à dire que « le jeu est une tâche sérieuse » - je ne peux, d'ailleurs, m'empêcher de vous lancer un petit clin d'oeil humoristique (ici). Le deuxième est un littéraire nourri de sociologie, Roger CAILLOIS, qui en 1958 va dresser une typologie du jeu dont vous pouvez trouver un résumé sur internet (ici).

Un schéma pouvant accompagner la synthèse référencée ci-dessus. 

Ces travaux vont être à l'origine d'une observation plus élargie qui se verra grandir en sociologie dont on peut avoir un aperçu dans Jeux de rôle. Les forges de la fiction (Olivier CAÏRA - 2007) et Le jeu de rôle sur table, un laboratoire de l'imaginaire (sous la direction de Danièle ANDRE et Alban QUADRAT - 2019). En parallèle, en psychiatrie et psychologie, Serge TISSERON propose de développer le jeu de rôle à l'école maternelle pour de multiples raisons dont nous pouvons avoir un aperçu abrégé dans une petite vidéo (ici). Ces recherches sont à l'initiative d'un lent revirement de situation quant au regard porté par notre société sur les jeux de rôle depuis les années 1990. Elles peuvent aussi en être l'aboutissement car, aujourd'hui, les sciences amènent à réfléchir sur l'impact important du jeu dans la formation des futurs individus qui constitueront les sociétés de demain. Avec cet exemple français, nous pouvons voir l'évolution de la pensée à l'encontre du jeu de rôle.

De la diabolisation à la bienveillance utile aux U.S.A.


   La réflexion axée sur le jeu de rôle que nous avons pu constater en France n'est pas unique ; aux Etats-Unis aussi, une évolution de la pensée a été menée. Il est à noter que les joueurs - qui n'étaient encore que des adolescents dans les années '80 - ont vieilli et qu'ils peuvent, aujourd'hui, être à des postes clef permettant de présenter ce hobby sous un angle différent. J'ai évoqué plus haut l'idée de la Cool Attitude ; il n'est pas rare de voir des vedettes s'afficher comme, et revendiquer être, des joueurs passionnés de jeu de rôle. Mais dans une démarche toujours de théorisation et de soin apporté à l'image de cette activité ludique, on observe aussi, outre Atlantique, une méthode professionnelle permettant de faire réfléchir quant à ce loisir. Dans un article publié le 8 octobre 2018 (ici), un constat récurrent apparaît : la jeunesse d'aujourd'hui est littéralement obsédée (possédée ?!?) par les écrans et perd, petit à petit, le goût et la capacité de lire. Ce bilan est attesté par les parents et les enseignants, d'une manière générale. Le professeur Ian SLATER (de la York University, à Toronto) n'hésite pas dire que « D&D est une voie d'accès à l'addiction à la lecture » et que les enfants qui se mettent à lire avec avidité les bouquins de règles finissent par développer une appétence pour cette activité, bien au-delà du jeu. Ian SLATER a commencé à jouer à l'âge de 10 ans et a été un des membres du comité de rédaction du magazine Oldschool en ligne, dédié notamment à AD&D& Magazine (ici) ainsi qu'un des contributeurs réguliers sur le forum de Dragonsfoot (ici). A noter aussi qu'il n'a jamais cessé de jouer (à quelques rares occasions près). Le jeu de rôle peut donc, dans un premier temps, mener au goût pour lecture et, pour cela, certaines écoles états-uniennes se servent du jeu de rôle comme d'un outil pédagogique.

Chez les plus jeunes...

L'utilisation du jeu comme moyen d'apprentissage et de création d'un réseau de sociabilisation peut se faire dès l'école primaire. Mais il est aussi tout à fait possible de pousser davantage le travail de transmission de savoirs et de développement de compétences. La motivation générée chez les adolescents, parce qu'ils rêvent tous d'un personnage héroïque, les incite à dévorer les livres de règles afin de donner plus de corps à l'aventurier qu'ils sont en train de créer et de faire vivre. Ceci peut se poursuivre au collège et au lycée.

Des collégiens.

Ceci permet aussi des interactions positives entre les participants/joueurs en favorisant les échanges comparatifs et en induisant la nécessité d'explications et de justifications sur des choix faits par chacun. De la sorte, l'oralité est aussi travaillée puisqu'il faudra réussir à expliquer, avec le plus de justesse possible, des sélections tout en argumentant le fait d'avoir opté pour telle ou telle sélection. Par ailleurs, ceci peut aussi amener à une discussion très nourrie soit sur la compréhension et l'application de règles, soit sur des intérêts plus personnels, permettant à l'adolescent de se construire et de s'affirmer face à ses pairs.

Vers la « fin » du collège ou le tout début du lycée...

Dans l'image ci-dessus, nous pouvons imaginer l'exercice de la description par le D.M. ou bien la construction/rédaction d'une aventure avec le travail de l'imaginaire que cela implique tout en gardant une cohérence dans l'histoire. Si l'on considère le suivi d'élèves ayant pratiqué cette activité depuis l'école primaire, il est fort à parier qu'ils auront acquis un panel de vocabulaire étendu ainsi qu'une aisance en lecture et expression orale (y compris en groupe) ; sans oublier les capacités d'écoute et d'attention qui auront aussi bénéficié d'un développement accru. Au lycée, certains enseignants utilisent le jeu de rôle pour mieux immerger leurs élèves, notamment dans le travail de la littérature en abordant Beowulf par exemple.

Travail sur Beowulf au lycée...

Nous avons aussi ce type d'exercice dans certains cours à l'université, toujours avec l'objectif de travailler l'oralité. Le Professeur Ian SLATER a même créé et développé sa propre entreprise (au nom évocateur, Black Dragon !) liée à des activités de développement axées autour du jeu de rôle (ici). Il propose des sessions réservées aux enfants, des séjours de vacances ludiques pour adolescents et adultes, des séminaires pour les entreprises etc. On constate que, désormais, le jeu de rôle est reconnu comme ayant des vertus pouvant aider au développement des individus ; nous nous sommes donc éloignés de la période sombre au cours de laquelle D&D était honni ! Il est même accepté, dorénavant, de vivre de ce hobby.

Une expérience limitée


   Pour ma part, étant enseignant dans le secondaire (en collège), j'ai pu expérimenter de manière empirique une observation de ce type sur une période de cinq ans, puisque j'ai pu poursuivre la campagne entamée avec les mêmes élèves durant leurs premières années de lycée (jusqu'en Première). L'idée avait été de proposer une activité durant la pause médiane ; certains collègues étaient volontaires pour des jeux de plateau ou autres, tandis que je m'étais engouffré sur le créneau du jeu de rôle. Afin que cela soit plus facilement accepté par ma hiérarchie, j'avais fait le choix de démarrer avec le jeu Mazes & Minotaurs (ici), jeu en anglais certes - c'était aussi un argument vis-à-vis des langues vivantes -, mais gratuit. Le thème, la Grèce antique, collait également au programme d'élèves de 6°, niveau avec lequel j'allais entamer cette activité ; ceci me permettait de pouvoir rattacher çà à une approche plus historique avec des créatures qui pouvaient être plus « passe-partout » puisque incluses dans la mythologie et l'imaginaire collectif. Durant les années qui suivirent, je basculais sur Dungeons & Dragons, profitant du thème médiéval... Victime de son succès lors de la présentation à mes deux classes de 6°, je fus obligé d'opérer une sélection par le biais d'une sorte de lettre de motivation. Et bien je peux affirmer que lorsqu'un jeune adolescent de 10/11 ans souhaite ardemment intégrer une activité, il est capable de prouesses que l'on ne soupçonne pas nécessairement ! J'ai eu droit à une carte au trésor ayant pour thème « l'aventure » ! C'était vraiment très chouette... Ce qui me renvoie immanquablement à certains constats évoqués dans les articles anglo-saxons, notamment à propos de l'inspiration que le jeu peut provoquer. Au cours de ces années de campagne avec mes élèves, j'ai pu voir opérer des développements de comportements spécifiques au jeu de rôle ; coopération, altruisme, réflexion commune face à un problème donné, sens du partage (par exemple pour optimiser les chances de survie du groupe), travail d'élocution, acquisition de vocabulaire, entre-aide selon les capacités de chacun (matheux, littéraire etc.). Il y avait, au sein de groupe, un joueur quelque peu timide qui a su s'épanouir et finalement s'affirmer. Ainsi que j'ai pu le dire, tout ceci résulte d'un constat à postériori ; je n'avais absolument pas réfléchi à l'idée d'expérimenter et d'analyser les effets de cette expérience ludique. Mais aujourd'hui, je suis intimement convaincu que cette activité peut beaucoup apporter pour le développement des enfants, adolescents et adultes. Les possibilités sont vraiment très grandes et il m'a semblé toucher du doigt quelque chose de puissant. Au gré de mes lectures sur ce sujet - et cela déjà depuis pas mal de temps -, je suis de plus en plus convaincu du bienfait du jeu dans la construction de l'individu, et pas seulement le jeu de rôle. Aujourd'hui, j'en suis à réfléchir à l'ouverture d'un club au sein de mon établissement ; mais la crise sanitaire actuelle freine considérablement le processus de mise en place. Quoi qu'il en soit, je suis acquis à cette idée de pouvoir aider les adolescents à se construire et s'affirmer par le jeu et j'attends avec impatience une amélioration notable de la conjoncture pandémique dans laquelle nous nous trouvons pour tâcher de donner vie à ce dessein.

   Voilà. J'en ai fini avec ce billet un peu long sur un sujet passionnant. Au bout de cette réflexion/observation, je suis étonné de la tournure qu'a pu prendre la perception du jeu de rôle dans nos sociétés ; passer d'une suspicion satanique à un véritable outil pédagogique, il faut bien reconnaître que c'est assez fort... !


Pour l'heure... A l'aventure Compagnons et soyez sur vos gardes !


dimanche 25 avril 2021

Encounter

 Lorsque l'on évoque des rencontres,...

...certaines peuvent être plus belles que d'autres !


   Nous allons faire un nouveau petit bond dans le temps. Revenons une dizaine d'années en arrière, en 2010 plus précisément. Un nouveau fanzine arrive sur la toile ; en effet, il n'est disponible qu'en téléchargement. De mémoire, il me semble qu'il s'agissait d'une production néo-zélandaise, bien que l'adresse électronique fournie tende vers l'Australie ; mais peu importe. Son nom n'est autre que Encounter ; et il affiche clairement ce dont il va traiter : « A fanzine dedicated to the Classic D&D Game ! »

Une rencontre éphémère

   Bien qu'offrant une qualité indéniable (texte, rubriques, mise en page, illustrations etc.), ce fanzine n'aura eu qu'une brève vie puisque seuls quatre numéros seront publiés. Le premier sort en mars 2010, tandis que le dernier verra le jour en mars 2011. On ne peut que regretter cela, mais étant donné son sujet de prédilection, la niche de l'O.S.R. n'en était qu'à ses balbutiements et n'a probablement pas su offrir suffisamment de lecteurs. Et puis, bien entendu - et là, tous les rédacteurs seront d'accord -, la gestion d'une telle entreprise reste difficilement compatible avec le quotidien ; ce qui peut aussi expliquer cette courte longévité. Quoi qu'il en soit, ce fanzine aura donc été une comète dans le ciel du Jeu de Rôle, bien que sa régularité sur cette brève apparition ait été très professionnelle. Mais grâce à la technologie, il vous est possible de télécharger et lire à tête reposée ces numéros ; faites le détour, cela en vaut la peine (ici).

Une très belle couverture qui donne le ton !

Que trouve-t-on dans le #1 ?

   Le sommaire de ce premier numéro correspond aux critères nostalgiques des débuts de la vague O.S.R. En effet, on y trouve tout d'abord un court article qui se situerait entre le récit d'un souvenir de l'auteur et une rapide présentation d'un module emblématique du début des années '80, à savoir le X1 The Isle of Dread. Puis, un descriptif de ce qui vient d'être publié (attention, nous sommes en 2010 et « vient » est une figure à géométrie variable... !) : Advanced Edition Companion pour Labyrinth  Lord, la White Box pour Swords & Wizardry, les « derniers » numéros en date du fanzine OD&DITIES etc. L'ensemble couvre aussi des rétro-clones comme Lamentations of the Flame Princess ou Basic Fantasy Role-Playing Game. Puis, nous avons une aide de jeu pour donner un peu d'épaisseur aux P.N.J. par l'utilisation d'une table aléatoire (incontinence, arrogance, unijambiste etc.), un article de fond sur l'ordalie médiévale étayé par une belle bibliographie, quelques nouvelles créatures pour peupler vos mondes et autres recoins obscurs, une House Rule ayant pour sujet la tentation et les péchés (faut-il y voir un lien avec la présentation de l'île du X1... ?) et, pour conclure, quelques extraits de réflexions en provenance de la blogosphère O.S.R. Le texte abordant la question de l'impénitence et de l'attirance est très intéressant, mais aurait mérité - à mon sens - un développement plus approfondi. Comme toute règle maison, celle-ci appelle éventuellement à un travail d'enrichissement de la part des D.M. et des joueurs. Cela étant dit, c'est aussi le but des fanzines que celui d'offrir des pistes d'exploration.

Et... le module !

   Mais ce contenu, déjà très diversifié, ne saurait être complet et remplir le cahier des charges O.S.R. sans un module ! Ce dernier est défini pour un groupe de taille « standard » (comprenez 3 à 6 joueurs) de niveau 1 à 3. Souvenez-vous, nous sommes en 2010, les zombies se mettent à peupler largement nos écrans de télévision, et cette aventure comprend donc son lot de Morts-Vivants, comme il se doit. L'histoire - sans trop dévoiler la trame - implique un riche marchand collectionneur qui commet un impair et se trouve « maudit ». Les personnages doivent essayer d'éclaircir le mystère qui entache la demeure du négociant (un manoir). On trouve un savant dosage entre des pièges, des devinettes, de la magie et des créatures. Il n'y a que le final (l'épilogue devrais-je dire) qui me laisse perplexe. Compte tenu des faibles niveaux des aventuriers, je ne vois pas comment réaliser une belle fin, sauf à inclure cette aventure dans le cadre plus large d'une campagne ; là, il y a une chouette possibilité pour le groupe de personnages. Mais cela aurait peut-être demandé à être explicité dans l'introduction du module. Pour ma part, cela ne m'a pas dérangé outre mesure car j'ai glissé cette histoire dans le monde de la campagne que je mène. Néanmoins, cela reste une belle aventure qui peut tenir en haleine des joueurs débutants (pas uniquement les personnages) car il y a de multiples options et un bon compromis s'agissant du butin possible. C'est véritablement un module typique des années '80 comme on pouvait en trouver dans les fanzines/magazines de l'époque (je pense notamment à Casus Belli).

Une chouette rencontre donc...

   Voilà, j'en ai fini avec cette présentation. Je vous encourage à récupérer ce document ; vous pourrez même en faire une impression professionnelle sur des sites dédiés si vous aimez l'odeur du papier ! Il est vraiment dommage que cette publication n'ait pas pu perdurer car il y avait vraiment un potentiel. Allez, soyez curieux !


Pour l'heure... à l'aventure Compagnons !